mercredi 7 février 2018

Exposition sur la pêche à Djupavik, Islande

Il est presque minuit et j’observe le fjord par la fenêtre : la météo est impitoyable dans ce coin perdu des fjords de l’ouest de l’Islande. Je peux sentir la puissance des bourrasques de vent contre ma cabine; il y a des moutons sur l’eau et les nuages se heurtent et s’accrochent aux sommets. Je m’attendrais presque à voir un monstre sorti d’une saga émerger de l’eau grise. Le lendemain matin, la tempête a laissé place à un beau soleil de juin. Non… Ça c’est ce que je voudrais. Mais dans les fjords, le temps est imprévisible, et Djupavik ne verra pas le soleil pendant dix jours.
On ne peut pas vraiment décrire Djupavik comme un village, c’est plutôt un point sur la carte comprenant un hôtel-restaurant, une ancienne usine de traitement du hareng, quelques maisons de vacance et deux habitants à l’année (les propriétaires de l’hôtel). Un point sur la carte qui devient de plus en plus populaire, tout en restant hors des sentiers battus. Le lieu figure dans plusieurs guides de voyage, décrit comme un petit hôtel de charme accueillant où il fait bon se reposer. C’est ce qui m’y a amené la première fois; en fin de voyage, Yves et moi ne voulions pas partir pour de grandes aventures pour les deux derniers jours. Nous avions donc fait le détour sur la côte Strandir des fjords de l’ouest en prenant une route de terre tortueuse sans rambardes et minées de nids de poule et de roches saillantes. L’accueil par le personnel de l’hôtel était chaleureux, le repos total. Après une première nuit, nous avions décidé de rester pour une deuxième. 
Il n’y a pas énormément de choses à faire dans le coin, à part se la couler douce et décrocher. Au rez-de-chaussée, le restaurant et le lounge rappellent le salon familial. Les clients et le personnel s’y mélangent : certains écrivent, d’autres lisent, d’autres consultent Internet, et on y discute pas mal aussi. Pour ceux qui n’ont rien apporté, il y a des jeux de société et des livres. On peut aussi perdre son regard par les fenêtres, côté fjord ou côté collines. Les deux chiens de la maison assurent également le spectacle : Soley, le bulldog anglais très photogénique semble constamment sur le point de s’endormir, et Freya, le chien de type berger lèche les fenêtres; ça tombe bien, avec la buée on ne voyait pas le paysage.
C’est donc mon deuxième séjour à Djupavik; j’ai la chance de prendre part à l’exposition The factory. Cette exposition annuelle a lieu chaque été dans l’ancienne usine de hareng qui appartient aux propriétaires de l’hôtel. Ces derniers se sont installés dans ce coin perdu en 1985 puis ont retapé l’ancien quartier des femmes pour en faire l’Hôtel Djupavik et rénovent l’usine petit à petit pour sauver ce bâtiment exceptionnel. À l’intérieur, on y trouve une exposition permanente sur les activités de l’usine, et des visites guidées sont organisées chaque jour (en saison). Dans une autre partie de l’usine, ils organisent l’exposition temporaire annuelle qui dure du 1er juin au 31 août. Il s’agissait les premières années d’une exposition de photos d’un seul artiste, mais depuis deux ans, les organisateurs l’ont élargie à toutes les disciplines artistiques. Chaque artiste présentant ses œuvres doit avoir un lien avec l’Islande.
J’ai pour ma part choisi de faire un parallèle entre Djupavik et Yellowknife, deux bourgades isolées au nord du 60e parallèle pour lesquelles la pêche tient une place importante : Djupavik, qui a été abandonnée quand les stocks de poissons sont partis suite à la surpêche, et Yellowknife où la pêche commerciale reste assez limitée en termes d’infrastructures, ce qui est peut-être mieux pour la durabilité de cette industrie.
Quelle chance d’exposer mes photos de pêche dans une ancienne usine de traitement du poisson! C’est bien plus intéressant que les lignes aseptisées des galeries modernes : un espace grandiose et des murs bruts qui mettent en valeur les photos, et la lumière naturelle de la longue salle à l’étage qui n’en finit pas, soleil de minuit oblige! L’installation n’était pas aisée car mes photos n’étaient pas encadrées (coûts + questions de transport) et on ne peut pas vraiment mettre de clous dans ces murs en béton. J’ai donc utilisé des supports en bois dotés de fins câbles d’acier sur lesquels j’ai pu fixer mes photos à l’aide de pinces. L’usine étant installée sur la plage, l’humidité est élevée. J’avais donc imprimé mes photos sur de la toile et certaines sur des plaques de métal. Aucune n’a été endommagée. Les pinces ont juste laissé quelques traces de rouille sur les marges, ce que j’avais prévu. Ah... la vue sur la cascade ou l’hôtel, les montagnes au loin, la mousse verte sur les rebords des fenêtres au verre ancien, la rouille des installations en métal!


Voici  quelques installations d'autres artistes qui participaient à cette exposition pluridisciplinaire: