Il est presque minuit et j’observe le
fjord par la fenêtre : la météo est impitoyable dans ce coin perdu des
fjords de l’ouest de l’Islande. Je peux sentir la puissance des
bourrasques de vent contre ma cabine; il y a des moutons sur l’eau
et les nuages se heurtent et s’accrochent aux sommets. Je m’attendrais
presque à voir un monstre sorti d’une saga émerger de l’eau grise. Le
lendemain matin, la tempête a laissé place à un beau soleil de juin.
Non… Ça c’est ce que je voudrais. Mais dans les
fjords, le temps est imprévisible, et Djupavik ne verra pas le soleil
pendant dix jours.
On ne peut pas vraiment décrire
Djupavik comme un village, c’est plutôt un point sur la carte comprenant
un hôtel-restaurant, une ancienne usine de traitement du hareng,
quelques maisons de vacance et deux habitants à l’année (les
propriétaires
de l’hôtel). Un point sur la carte qui devient de plus en plus
populaire, tout en restant hors des sentiers battus. Le lieu figure dans
plusieurs guides de voyage, décrit comme un petit hôtel de charme
accueillant où il fait bon se reposer. C’est ce qui m’y
a amené la première fois; en fin de voyage, Yves et moi ne voulions pas
partir pour de grandes aventures pour les deux derniers jours. Nous
avions donc fait le détour sur la côte Strandir des fjords de l’ouest en
prenant une route de terre tortueuse sans rambardes
et minées de nids de poule et de roches saillantes. L’accueil par le
personnel de l’hôtel était chaleureux, le repos total. Après une
première nuit, nous avions décidé de rester pour une deuxième.
Il n’y a pas énormément de choses à
faire dans le coin, à part se la couler douce et décrocher. Au
rez-de-chaussée, le restaurant et le
lounge rappellent le salon familial. Les clients et le personnel
s’y mélangent : certains écrivent, d’autres lisent, d’autres consultent
Internet, et on y discute pas mal aussi. Pour ceux qui n’ont rien
apporté, il y a des jeux de société et des livres.
On peut aussi perdre son regard par les fenêtres, côté fjord ou côté
collines. Les deux chiens de la maison assurent également le spectacle :
Soley, le bulldog anglais très photogénique semble constamment sur le
point de s’endormir, et Freya, le chien de type
berger lèche les fenêtres; ça tombe bien, avec la buée on ne voyait pas
le paysage.
C’est donc mon deuxième séjour à Djupavik; j’ai la chance de prendre part à l’exposition
The factory.
Cette exposition annuelle a lieu chaque été dans l’ancienne usine de
hareng qui appartient aux propriétaires de l’hôtel. Ces derniers se sont
installés dans ce coin perdu
en 1985 puis ont retapé l’ancien quartier des femmes pour en faire
l’Hôtel Djupavik et rénovent l’usine petit à petit pour sauver ce
bâtiment exceptionnel. À l’intérieur, on y trouve une exposition
permanente sur les activités de l’usine, et des visites guidées
sont organisées chaque jour (en saison). Dans une autre partie de
l’usine, ils organisent l’exposition temporaire annuelle qui dure du 1er
juin au 31 août. Il s’agissait les premières années d’une exposition de
photos d’un seul artiste, mais depuis
deux ans, les organisateurs l’ont élargie à toutes les disciplines
artistiques. Chaque artiste présentant ses œuvres doit avoir un lien
avec l’Islande.
J’ai pour ma part choisi de faire un parallèle entre Djupavik et Yellowknife, deux bourgades isolées au nord du 60e
parallèle pour lesquelles la pêche tient une place importante :
Djupavik, qui a été abandonnée quand les stocks
de poissons sont partis suite à la surpêche, et Yellowknife où la pêche
commerciale reste assez limitée en termes d’infrastructures, ce qui est
peut-être mieux pour la durabilité de cette industrie.
Quelle chance d’exposer mes photos de
pêche dans une ancienne usine de traitement du poisson! C’est bien plus
intéressant que les lignes aseptisées des galeries modernes : un espace
grandiose et des murs bruts qui mettent en valeur les
photos, et la lumière naturelle de la longue salle à l’étage qui n’en
finit pas, soleil de minuit oblige! L’installation n’était pas aisée car
mes photos n’étaient pas encadrées (coûts + questions de transport) et
on ne peut pas vraiment mettre de clous dans
ces murs en béton. J’ai donc utilisé des supports en bois dotés de fins
câbles d’acier sur lesquels j’ai pu fixer mes photos à l’aide de
pinces. L’usine étant installée sur la plage, l’humidité est élevée.
J’avais donc imprimé mes photos sur de la toile et
certaines sur des plaques de métal. Aucune n’a été endommagée. Les
pinces ont juste laissé quelques traces de rouille sur les marges, ce
que j’avais prévu. Ah... la vue sur la cascade ou l’hôtel, les montagnes au
loin, la mousse verte sur les rebords des fenêtres
au verre ancien, la rouille des installations en métal!
Voici quelques installations d'autres artistes qui participaient à cette exposition pluridisciplinaire: